Le Premier Amour by Márai

Auteur:Márai
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel
Publié: 2014-02-03T05:00:00+00:00

27 décembre

Bien sûr, je ne peux supporter le fait que, selon l’expression de Mészáros, ils traînent ensemble. Ça, ça me regarde. Le fait de traîner, de perdre son temps à flâner, ils le font en public. D’ailleurs, le règlement de l’école interdit aux jeunes gens de l’institution de se trouver sur la promenade sans raison après sept heures du soir.

Il faudra que je tâche d’y mettre bon ordre.

Ce soir, après sept heures, je me dirigeais vers le cercle, dans la Grand-Rue. Devant la vitrine de la librairie se tenaient Madár, Neumann, Zakár, Cserey et Frideczky. Frideczky, le fils du chapelier, est un mauvais élève notoire. Un chef de bande. Il donne l’impression, cette année, de s’être acheté une conduite mais je sais qu’il est toujours chef de bande. Ils contemplaient les nouveaux livres. Je suis passé dans leurs dos sans qu’ils m’aperçoivent. Il était plus de sept heures. Il est vrai que ce sont les vacances maintenant. En tous les cas, j’ai mis une croix en face du nom de Madár sur mon carnet.

Je suis resté longtemps au cercle ce soir. Il était dix heures passées quand je suis rentré. Le médecin de la ville, Sellyei, est récemment allé à Budapest. Il nous a tenu un discours assez exhaustif sur les événements de la capitale.

En rentrant du cercle, je me suis arrêté devant ma porte et j’ai regardé tomber la neige. Depuis quelques années, des lampadaires à arc ont été installés dans les rues de notre ville. La neige dessinait un halo ruisselant autour des lampes. Le silence était tel dans la rue enneigée que j’avais l’impression de la voir de loin derrière une vitre. Les maisons, y compris celles à étages, semblaient avoir rapetissé. Elles étaient déjà toutes plongées dans l’obscurité. Sur le chemin, je pensais que je savais qui habitait dans chacune d’entre elles. En gros, je sais aussi combien de personnes y vivent et dans quelles conditions. On finit par être au courant de tout. La neige a recouvert la ville entière. Elle repose en couche épaisse sur les toits et sur les corniches. En allant au lit, j’ai eu le sentiment de me coucher sous la neige et j’ai pensé que d’ici au matin, elle allait me recouvrir. Je n’arrive pas à m’endormir, je suis allongé dans mon lit et et c’est dans cette position que je note ces quelques lignes.

Le silence est si profond que j’entends ma gouvernante tousser trois pièces plus loin. Elle tousse depuis un moment. Le chardonneret et le canari se taisent. On n’entend jamais le son de leurs voix, la nuit.

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